Dédicace à Amina
Chère Amina,
Je t'écris parce qu'il est difficile de trouver le temps d'écrire... disons que suivre ce que l'une ou l'autre fait et dit n'est pas toujours simple. Le temps est une chose non-chose et qui ne se maîtrise donc pas vraiment. Mais ce temps ne fera pas que l'éloignement se fasse dans l'humain, n'est-ce pas.
Et c'est à toi que j'écris parce que la femme que tu es là où tu vis est un cri. Ce cri que j'entends sonner comme une alerte vive et constante aux esprits et coeurs humains et à toutes celles que nous sommes, ces femmes qui saignent ou ont saigné - et peu importe le quantitatif, le flot est un de nos sangs mêlés, puisque par où elles meurent, je meurs -, qui ont saigné assez pour comprendre ce que cet humain cache sous ses cadres rigides : le vide, un néant qu'il veut combler de toutes les façons ; et s'il se cherche une parole d'espoir et la croyance que le monde peut reprendre sa conscience et son humanité, il est que ce néant se comble, hélas, souvent aussi et depuis des siècles par l'asservissement de la chair et de l'âme. Aux bourreaux la gestion du vide par l'épuisement du sens et la destruction justifiée par la Loi, qu'elle fut donnée pour divine ou d'état et, ô misère des misères, par celles alliant les deux (de l'alliance guerrière contre on ne sait quels dangers du "être" d'une moitié de l'humanité dont la capacité de penser fait trembler le siège moulé au fondement des masculines angoisses).
On ne s'épanouit pas de nos blessures, on en meurt, sauf si l'on y trouve la raison d'élargir le constat. Je crois. Pour ouvrir ces portes closes et donner à espérer aux reclus(e)s que la parole puisse passer les murs et les faire tomber. En autre temps, d'autres ont bien fait s'écrouler les murailles de Jericho, de l'insistance de la conviction valant le fer, là où l'humain est sans doute plus puissant qu'il ne l'imagine sous ses peurs - cadeaux empoisonnés de sa propre humanité -.
Il n'y a aucun hasard de métaphore. Nous pourrions lire les livres dits saints comme traités de philosophie, mais laissons aux humains le comble par le cadre si nous pouvons par ailleurs faire parvenir l'écho du coeur de la brûlure comme signifiant donnant que tout cadre peut et doit être débordé. Le débord de l'humaine conscience et de sa liberté. Soyons libres, et c'est en posant l'image de la foi au possible par l'allusion biblique que je veux te dire tout ce qui est en crue dans notre rivière commune d'espérance, parfois d'eau sombre troublée des boues volcaniques d'une humanité en déraillement sur ses craintes de la puissance féminine, dans ce que nos éducations si différentes il y a de si commun dans l'imposition de l'abdication sous prétexte de justesse du chant d'un sexe.
Ce livre ne dit rien, et il dit tout. Parce qu'on ne peut passer dans tous les corps et âmes. Mais il fait une visite dans une manière d'impensable, dans ce que le fruit toxique de la violence - qui ose ne pas se nommer comme telle - donne de brûlures stérilisant l'espoir. Ecrire est un acte de révolte en soi, un acte militant au sens espéré noble, car où l'humanité pourrait-elle s'ancrer dans la continuité du silence...
J'aurais aimé venir déposer ce livre à ta porte, que de mes mains il se glisse dans les tiennes, je ne sais pas si cela sera possible, car tu sais mon attachement à un autre sol et mes moyens difficiles à multiplier les voyages, mais de mes pays, mes partages, je saurais tout faire pour aller respirer un jour cet air qui fait ton regard et la profondeur de ta poésie.
Je t'aime, Amina, de toute la sororité que je peux lire en toi sans te connaître. Ce livre, Amina, sache que si je l'ai écrit pour toutes, c'est à toi que je le dédie dans mon coeur.
Marie Hurtrel
Paris, 17 mai 2013