Le vieux et la fiancée

Un homme d'âge respectable tenait en son pouvoir une cité
par ses ambitions de calme et de religiosité ;
il entretenait un trône, lustré par son fondement
depuis assez de décennies pour le convaincre de perpétuité.

Chaque matin, le vieillard suivait la route de confesse,
à l'heure où le mâtin voisin reniflait la sienne ;
et grommelait le grisonnant, entre prières et génuflexions,
que jamais en son fief ne changerait la législation :
"on doit suivre ma route et mon panache du bleu des rois,
et de loi n'existe que la mienne, reçue du bon Dieu et de ses vassaux."

Mais, le fief du sénescent se trouvait dans une contrée dont le peuple n'avait de cesse de revoir
et revoir encore ce qui les administrait, afin de gagner en liberté, en égalité,
et, ma foi, on peut le dire, en fraternité.
Ces trois vocables frisant le cheveu de l'homme en quête de longévité par l'interprétation bien différente qu'il en faisait :
liberté lui sonnait comme un pouvoir à faire plier à ses souhaits,
égalité trompetait dans son crâne comme le formatage à son idée,
fraternité couinait sous sa langue comme l'arasement de toute différence à son modèle tenu.

Un jour, l'homme aux règles ancestrales entendit de sa fille son désir d'épousailles.
Et le voilà qui saute de joie à l'idée d'écrire lui-même le nom des épousés au bas du parchemin d'état,
de la messe résonnant des grandes orgues, et de la fête qui s'ensuivrait.
Il décida de recevoir le soir même, entre le portrait de son père et celui du pape pendus aux murs de son salon,
le futur ganté -puisque tradition vaut, sa fille avait forcément choisi celui qui la tiendrait-.

Les vêpres sonnant au clocher, d'un drelin timide l'amour de sa fille à la porte s'annonça.
Le pas joyeux, la face traversée du sourire des bienheureux, le chef du village -et par autoproclamation celui de la famille-
se jeta sur la clenche pour accueillir comme un prince celui qui le ferait beau-père et sans doute grand-père l'année faisant.

Mais, sur le pas de la porte, au lieu du jouvenceau pressenti, se tenait une fille belle, ronde, et les bras chargés de fleurs.

"Où est donc votre frère, belle enfant, qui doit épouser ma fille, c'est lui que j'attends" envoya-t-il mi étonné mi mécontent.
"Je suis la fiancée" répondit la bouche en coeur de la porteuse de roses...

A ces mots, l'empreint de certitudes ouvrit si large sa bouche, que son dentier tomba, il tomba, tomba,
et tomba encore chaque jour au moindre son de cloche ou de sonnette le ramenant à sa déconfiture.
De rage, il voulut mettre le monde au silence, mais, le vieil homme ne put qu'abandonner ses dents.

Marie HURTREL
1 décembre 2013