Halloween et décadence
Au 2 novembre, il est temps de s'insinuer dans ce jour troisième d'une tradition, pas forcément celle imaginée.
Mais qu'est-ce que c'est que cette fête à bonbons et gamins déguisés creusant des citrouilles et qui vient nous envahir depuis l'Amérique ? Halloween c'est du pur commercial outre-atlantique vous dit-on, et qu'il faut résister à cela, ne pas pervertir les amusements de nos mômes et des adultes qui le restent, des mômes, et c'est mieux de rester dans le respect pour notre tradition profonde et chrétienne, il faut garder un peu de respect pour nos morts, nos cimetières, et ceux qui les fleurissent, vous dit-on encore.
Ah. Bien. Voyons voir de près en soulevant un peu le couvercle des citrouilles et la jupe de l'histoire, pas celle des sorcières, restons pudiques quand même :
En l'an 840 le pape Grégoire IV a fait du 1er novembre le jour dédié à tous les saints, donc voilà l'arrivée de la Toussaints dans la tradition bien de chez nous, il fallait caler le programme, pas facile de mettre en place un planning, les choix devaient être judicieux, bien des organisateurs d'évènements vous le diront encore aujourd'hui.
Sauf que, le Grégoire entrôné de l'époque a tout simplement assis une célébration chrétienne sur des rituels païens, comme c'était la mode à ce moment-là, faisant acte d'un "ote-toi de là que je m'y mette" qu'on résume depuis par les trois lettres du mot "foi". Méthode d'envahissement par glissement de siège, ce qui est plutôt futé et fonctionne encore pour beaucoup de choses (l'humain ne change pas vraiment, voire pas du tout).
Précisément, il y a longtemps, chez nous, là, ici, sur ce sol bien de tradition chrétienne comme y en a qui disent, il y avait les fêtes (plus exactement des rituels) de Samain, ou Samhain, durant trois nuits.
Cette période représentant alors le changement d'année et se trouvant hors du temps, ni dans l'année passée, ni dans l'année à venir. Pas un vide sidéral, une pause du temps.
Le 31 octobre, date charnière qui mènera à entrer dans l'hiver, à la nuit tombée commencent les cérémonies, ce soir-là on célèbre des héros.
C'est cette nuit-là où le monde des esprits des défunts commence à entrer en contact avec celui des vivants. Les âmes des morts venant rôder autour des maisons, des lanternes sont installées dehors pour guider ces esprits en vadrouille, les portes des maisons sont entrouvertes et de la nourriture disposée sur la table pour les recevoir, et les vivants ripaillant prêts à la re-venue des chers disparus.
Pour les païens pratiquants, le 31 octobre, c'est un peu le réveillon du nouvel an qui mènera au 1er novembre, changement d'année païenne et leur fête des défunts puisque LE jour où l'on peut communiquer entre les deux mondes.
Voilà qui met la confusion, n'est-ce pas, puisque les chrétiens ont planté la Toussaints sur le jour des défunts païens, et ajouté leur propre fête des morts le lendemain, le 2 novembre (ça ce n'est pas Grégoire qui l'a fait, c'est arrivé deux siècles plus tard je crois) qui pour les païens est le moment des banquets, danses, la grosse teuf en somme, la clôture des nuits de Samhain... La confusion de dates existe encore mais elle a pris la tournure Toussaints/Défunts des chrétiens qui mettent des fleurs sur les tombes le 1er au lieu du 2 parfois (heureusement les morts s'en fichent et restent morts) !
Avant les manipulations grégoiresques (et pas que lui, on ne va pas tout mettre sur le dos d'un seul homme) la veille de Samhain, on éteignait tous les feux dans les cheminées des maisons, pour les rallumer le jour de Samhain grâce à des braises rapportées des feux allumés par les druides (sorte de prêtres très instruits de la Nature) dans la nature (sacrés les feux, évidemment, et spécialement destinés à éloigner les mauvais esprits - et pas du tout à les attirer comme le clament certains violents contradicteurs d'Halloween qui mélangent tout, bonbons et satanisme, Halloween et occultisme, Samhain et décadence), et autour desquels tout le monde devait se rassembler, marquant ainsi la célébration de la renaissance du feu (la lumière).
Halloween est une émanation de Samhain partie d'Irlande et arrivée en Amérique, aux Etats-Unis où on fait feu de tout jeu (comme partout, si on regarde bien les diverses fêtes de quelques natures qu'elles soient, et elles sont largement commerciales et tout le monde est content), et les traditions s'exportent, s'infantilisent, se transforment, se vendent, se corrompent, et reprennent le bateau pour aller inonder le monde de pratiques qui amusent encore (à compter les coups sur les volets des spectres mal maquillés mendiant leurs confiseries, Samhain muté en Halloween fonctionne encore un peu).
Ce qu'on peut reprocher à Halloween, c'est seulement d'avoir trahi la réalité et l'origine de Samhain pas de chasser nos traditions puisqu'il en vient ! Samhain a été chassé par le catholicisme, refoulé, écrasé, il a fui où il pouvait, et notamment avec les migrants irlandais - on fait ce qu'on peut quand on nous colonise, n'est-ce pas, pour les croyances comme pour les gens -... c'est sans doute ce qui en a fait ce pauvre (d'esprit) Halloween et ses farces.
Qui a foutu le bazar au final (et à l'origine) ? Certainement pas les américains.
Marie Hurtrel