Te déranger un instant

Te déranger un instant.

Aide-moi à t'écrire encore, peut-être une dernière fois si le courage permet ; peut-être une première fois avant la crue si l'absence gagne la partie.
Alors que tu flottes comme un désir inconstant dans une mémoire encombrée, aide-moi à croire au-delà du doute à la ténacité des anges.
Aide-moi à relire ton nom sous ton nom, à la veille de ton envol.

Fallait-il compter sur les mains déliées, là, sur le quai effondré et le poids du prévisible.
Fallait-il penser au désavenir et écrire son désaccord d'un éclat de rire jeté à la face de ta mort...

Il y a encore trop de ce souffle marin bouleversant les bras feuillus des goyaviers, pour coucher le silence enfin sur ta bouche perdue.
Il y a encore le dandinement trop vif à ce lézard juché sur la nuit docile et fauchant l'immobilité de l'air comme un accident poétique.
Un bruit de tôle au loin.
Des éclats de voix écartelant le silence.
Un instant parmi l'envahissement des instants ne sachant pas s'effacer.

Fallait-il arpenter l'obscurité pieds nus pour savoir où tes murs dénudaient la liberté.
Fallait-il descendre les larges rues pesantes d'un soleil marqué, pour visser la dernière chaîne à l'ivresse de l'intuition...

Aide-moi encore à longer ta parole jusqu'à l'impertinence.
Aide-moi dans cet espace assourdissant entre la paix et nos retrouvailles, à te suivre d'une transe et de la largeur de ton verbe.

De ton ex-île, il reste une plainte rétive ; entends-tu toujours l'ab-sens ?
De ton exil vois-tu la dérive du monde heurter la partie immergée de l'ignominie et se fondre en elle, créant l'ancre et son engluage funeste.

Faut-il t'écrire où tu entends, faut-il te dire où tu relies ?
Il y a quelque chose de fou et tellement plus que la folie d'avoir arrêté le temps avec toi. C'est la présence dans tout grain de vie du rappel de ta mort, et au-delà de la vie faisant évidence à ta continuité.

Dans quelques heures tu seras mort. La nuit arrive de cet avant coincé entre toi et l'impossible oubli. Il y a si peu de temps et rien pour colmater les fissures venues du séisme de ton départ.

Marie HURTREL
22 février 2017



Observations