Tellement chaud
Quand j'étais petite fille, tout l'été était tellement chaud qu'on ne voyait âme qui s'agite dans les villages. Les paysans, les commerçants, les enfants, les vieux, tout le monde se cachait de la lourdeur de l'air, dans un grenier, une chambre, sous un arbre, sur un banc sous le saule, dans l'écurie, et seul le frisson des ailes des abeilles venait troubler les siestes et l'attente du soir. La lumière était crue et belle, l'eau des citronnades était fraîche et l'on regardait les bulles monter le long du verre.
On savait qu'il ne fallait pas tenter l'insolation, pas tenter l'épuisement de la soif et des suées. On accompagnait la léthargie des animaux simplement, le chat laissant pendre ses pattes de chaque côté d'une grosse branche de tilleul, les chevaux s'immobilisaient à l'ombre des bouchures*, le chien s'allongeait au pied du pignon ombragé. Le silence était maître, de ces silences musicaux qui donnent le relief à la vie, secoué de quelques rires, de souffles, de mots distants...
Il n'y avait pas d'alerte, on savait.
Les vieux et les enfants étaient sous la surveillance tranquille des autres et entre eux, tendant l'eau, l'éventail, fermant les volets à l'aube.
Quelque chose a changé, pas la température, pas la chaleur, quelque chose au fond du coeur des humains. Je ne sais.
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* haies en patois berrichon
