Sans parole


 Ma parole n’a pas de poids, parce que je n’ai pas de science. Pas la science de ceux qui semblent tout comprendre tellement bien de la balance immuable du déséquilibre mondial. Déséquilibre… l’écriture m’étrangle autant que la médiocrité de ce que ce mot peut représenter. Ce n’est même pas d’un déséquilibre dont il s’agit, puisqu’il n’y a de plateau que d’un côté du fléau.

 Aucune science de ce qui fait de la mort un commerce indispensable, aucune science dans ce qui impose le cours des choses et du remplissage des silos obèses des nécessités occidentales.

Aucune science de la camaraderie religieuse décalquant ses dogmes sur le sens commun des justices iniques de la raison ; et ce n’est même plus une odeur oxymorique…

Aucune science des traitements indispensables contre les pathologies décidées aux fins de nourrir plus grassement le corps de nos métiers, de bouche et de santé. Ce n’est plus une santé, les humains sont une usine chimique, et je n’ai pas la science de dire combien le sang n’est qu’un flot toxique dans une moitié du monde quand l’autre moitié crève du prix de ce qui le soignerait et pour quoi on le teste.

Je n’ai que des yeux, et un malaise immense. Dont on se fout. Une parole, comme une autre, qui ne lacère que quelques pages. Dont on se fout.

Je ne suis que mère, amie, amante, sans science et sans parole. Une dite citoyenne d’un dit pays dit civilisé dit riche dit symbolique au sens des humanités ; puisqu’il semble que l’humanité soit à étages, multiple, hiérarchisée dans sa géographie et sa race -Bien sûr, le mot exclu, race, car il vaut mieux taire ce qui justifie pourtant tant de cloisonnements au raisonnement par l’absurdité singulière du classement des lieux, des naissances et des fertilités agraires et souterraines-.
Sans science mais dire quand même qu’il est facile de taire pour faire croire à l’abolition. Les religions nous ont appris cela et nous l’appliquons avec une fierté de découvreurs de pierre philosophale.

Non, le monde ne changera pas. Puisque ceux qui le vivent lustrent leurs enferges. Puisque ceux qui ont la parole décident de sa justesse accordée au trépan dans nos crânes déjà vides par la certitude que viendra en son temps le temps de l’équité. Nous avons déjà bu le natron ; on n’a jamais vu de momie se lever pour chanter De profondis.

 © Marie Hurtrel