Pluie

 

La pluie arrive, décidée à donner l'ambiance de la soirée.

D'abord, des gouttelettes égarées viennent taper aux fenêtres ; puis d'autres, plus lourdes, s'écrasent sur les toits toujours tièdes du soleil d'un après-midi de Juillet.
Tendant le menton, je me tourne vers la gouttière qui chante la venue prochaine du déluge.

Une respiration animale m'enivre de l'odeur de l'eau bue par les poteries brutes des tuiles romaines.

Ma maison diffuse son parfum d'été déposé en touches délicates encore, par quelques nuages indécis.

Il y a le silence et ses points de reliefs, grosses perles transparentes descendues mollement pour donner vie aux pierres des murs et cailloux du chemin. La lauze se pique de taches sombres sur la terrasse.

Paisiblement, les mains offertes, je goûte les premières larmes de la voûte azurine où se sont échoués les opaques témoins chargés des détresses divines.

Les pleurs, plus nombreux maintenant, unissent les couleurs aux odeurs de terre, d'herbe mouillée et de fleurs.

Le jour est encore lumineux et, dans sa transparence, se découpent les coussins de thym rebondis, les cascades de roses rouges et les platanes insolents.

Soudain, les quelques claquements aux vitres se transforment en violents applaudissements de la nuée encourageant la terre à se gorger de l'eau bénie de la nature. Maintenant le rideau de pluie tombe, lourd de la vie à redonner.
Ruisselant d'abord, le sol accepte le don en flaques boueuses.

D'abricotiers adolescents en ronces emmêlées, mes pensées fondent dans les images qui s'éloignent.

Le bleu limpide est oublié.
D'un ciel d'aquarelle est née cette nuée grisâtre et éplorée.
Le jour quitte à son tour mon paysage, fuyant plus loin que les montagnes qui s'estompent.
La nuit opaque, enfouie sous les masses nuageuses, n'offre plus les éclats des soleils lointains menant aux espoirs d'autres mondes révélés.
Tout est sombre, sans la pâle lueur de la lune éteinte avec l'empyrée.
A peine pourrait-on imaginer une preuve de vie, sans le son de la pluie obstinée qui gifle l'auvent de ma maison, n'en finissant pas de rincer ses pierres ardéchoises.

Dans le nouveau matin, l'heure outremer arrive avec un calme inattendu.

Quelques gouttes encore claquent en notes détachées.
Puis le silence s'installe, je l'écoute un moment…

Par sa porte éclairée, la maison appelle au repos.

Le décor, si familier, offre pourtant quelques découvertes à mes yeux ravis glissant sur le bois clair du buffet et l'harmonie des fruits et du compotier.
Tout respire comme une histoire du temps qui ne passe plus.
L'heure même n'existe pas.
Les choses sont là, sans mémoire ni possible lendemain.
Sans intention, je quitte les formes rondes des fruits pour plonger dans la pénombre enveloppant le reste de la maison.

© M.H.


Me voilà attirée dans l'obscurité confortable et, quelques marches comptées plus tard, le grand canapé rouge accueille ma lassitude.
Le sommeil ne vient jamais vite, je le sais bien, il attend le jour pour me faire signe. Je lui cède alors, le cœur dans les étoiles.

L'été ne semble pas vouloir donner ses plus belles lumières et la chaleur qui ralentit le geste.
Mais certains jours s'égayent à contempler les nuages, mousseux et douillets, qui font penser à de grosses fleurs de cotonniers, pour leur trouver des ressemblances.
Parce que j'ai des bonheurs qui se moquent bien du temps et des habitudes estivales.

Deux bonheurs aux regards malicieux.
Qu'elle est douce la musique de l'eau qui fait chanter les grenouilles, sortir les escargots, et danser les lutins !

Les yeux clos, j'ai le sentiment encore de cette pluie en traversée quittant l'Ardèche pour d'autres lieux.
J'écoute les battements de cœur du nouveau jour qui m'accueille, comme autant de carillons annonçant le parfum des fleurs et des simples.
A cet instant, les rayons de l'hélianthe céleste se posent délicieusement sur mon visage comme un doux appel à oublier l'orage.

Par un lien de magie, je me retrouve à froisser la feuille de menthe sauvage, à genoux sur un tapis d'herbes clairsemées.
Autour, les chardons plaquent leurs pales agressives sur la terre désaltérée des promesses d'un Août tendre qui se dessine.
La nuit tourmentée et son déluge sont loin.

De l'éclat du jour bercés en chutes écarlates, les rosiers donnent le secret des nuances.
La brosse habile d'un peintre imaginaire s'est posée en touches cramoisies d'alizarine, d'or et d'émeraude sur la toile de mon décor enchanté.
Mes rêves composent une chanson, et chaque parole s'envole vers des lendemains aux douces lueurs roses et brillantes d'aurores imaginées…

Je crois entendre des rires lointains comme de joyeux gazouillis des mésanges faisant écho aux courses turbulentes de mes enfants sages.

"Dites, mes espiègles, pourquoi tant de bruit autour de vous ?
Dans votre si joyeux raffut, savez-vous qu'un silence, un répit dans vos piaillements joyeux, mettent dans vos yeux le reflet des anges ?
De l'autre côté du lilas exubérant vous avez trouvé un jeu, comme tant d'autres, sans pareil.
Cassant une branche, froissant des feuilles, vous bâtissez une cabane de bonheur accordé.
Mais il faut le silence pour entendre sa mémoire, et toi, Côme, grand lutin tapageur, tu couvres ton histoire des notes cristallines de ton rire enfantin.
Tu souris à la beauté du paysage. Tes yeux immenses, plongés dans les nuages de Saint-Petersbourg, caressent la montagne ardéchoise.

Et toi, Léandre, petit clown bondissant sur ton coeur, laisse les songes accueillir ton repos.
Demain tu reprendras ton oeuvre et nous applaudirons de la voir achevée.
Tu changes les couleurs, souffles sur les fleurs des champs, et ris en éclats.
Dans ton regard coule la Neva dont tu ne reconnais plus les rives.
Vous donnez à vos secrets le parfum des roses pour que personne jamais ne sache où ils sont nés.

Continuez vos jeux à réveiller l'espérance, à chacune de vos pauses je serai là pour écouter."


© Texte déposé - n°Z9Y9178

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