Au lecteur d'attente

Cher Lecteur d’outre-sol voulant lire mon Tilleul en son pays, vous du pays de mon arbre étrange, autre et lointain, il est trop tard pour qu'une branche parte au prochain vol mais, vous pourriez le recevoir au suivant, ou venir le chercher selon vos propres distances et vos capacités à les couvrir. De mon côté, cher découvreur de poésie du sol, je saurai réduire l'attente pour le mener entre vos mains - puisque vous faites appel en cela - en vous priant de garder encore ces senteurs dont vous m’aviez fait une description si délicate dans votre impatience. L'impatience étant une fleur, la patience également, je vous propose d'ajouter à votre bouquet le Coeur de Marie, si joli au printemps. Son automne avançant, la fleur a pris l’aisance de ses couleurs. Et du rose en fait le rouge de sa terre surnatale.

A propos de saisons, vous avanciez que l’hiver serait propice au vol des colombes voyageuses, pour combler votre désir de lecture, pourquoi donc parliez-vous de la froidure et de veillée de Noël  quand vous exprimiez les senteurs des essences poétiques ? Auriez-vous songer à un vol vers la terre noire de mon enfance à cette date précise ? Mon terreau s’interroge encore, ce soir, à l’heure où les branches brennouses se couvrent d’un été s’annonçant. Ou peut-être pensiez-vous que l'illustre légende aurait encore quelque secret dans sa hotte et qu'ainsi pourrait-il vous parachuter l'objet de la lecture ? Qu'est-ce que Noël viendrait faire dans un tilleul en mai ? Qu'est-ce que ce temps qui vous importait si peu ?
Puisse le fleuve Mbanya vous aider à me répondre, si un jour vous le désirez, puisque Mami Wata est devenue muette en croyant rincer les nuages de Douala... que faisait-elle si loin de sa source, faut-il dire... Ô ciel de décembre emportant ma plume digressive et printanière…

Il y a une chose qu’un nuage ne saura jamais vous livrer. Ce qu'un avion ne peut, un oiseau et la brume encore moins. Là où se portent les corps, le coeur et l'âme suivent, dit-on, il n'est que la chair qui faiblisse d'une âme sèche et d'un viscère brûlé.
Je m'égare en poésie, alors qu’il serait séant de briser là mon discours. D’ailleurs, et d’ici, quel nom porterait donc ce nuage voyageur ?

Non, je ne brise rien, surtout pas le discours, et ma lettre, là, cherche le sens, le mien et celui des sources ancestrales. Alors, je vous demande encore, vous parliez, cher rêveur de poésie, des essences comme de mes racines, où alliez-vous chercher la sève des cocotiers et le jus des palétuviers  que vous disiez boire en espérance ? Avez-vous soif de la poésie qui se meurt ? Où vit-elle autrement qu’au fond de son lecteur ?  Entre les feuilles suaves des tilleuls, je n'ose avancer le mien qui s'est inventé un sol du fond de la Dibamba.
Songe. Votre fleuve connaît-il la grammaire de ma rivière, plus Creuse que la coupe par les mains formées ?

Il est aussi, paraît-il, des noix venues tout droit du ciel et de la colère des dieux et faisant mettre les genoux à terre - fut-elle rouge et brassant les amours oxydées des pages jaunies d'un livre de passage -. À force, à force, que vous secouiez le cocotier, nous n'y verrions point y pendre les reliques festives d’un Noël, en conifère idiot il ne saurait se métamorphoser.
Et nous sommes en mai, un mai endeuillé et perclus d’espoir. Où nos discordes vont-elle quand les spectres de l’histoire font sonner la charge… poétique ? N’allez surtout pas penser à l’héroïsme dont ma plume fait carence à cette heure. Je sais que vous me lirez, vous et d’autres mais, vous, seul, saurez signer ce que le silence a scellé.

Alors, quoi, par-delà les déserts, vous m'avez égarée dans votre date suggérée, vous créez encore dans ma mémoire le labyrinthe où même Ka en perdrait son accent et le cours du Nil. Je vous écris, je vous réponds, las, que vouliez-vous donc, vous, cher inconnu, en lisant l'écorce de mon essence sans livrer la vôtre ?

Mon courrier s’étoffe,  voyez-vous, qui en poésie y trouvera indice à révéler le transport. Permettez-vous ? Que je l’adresse à la fantomatique attente ? C’est une rue souvent arpentée pour ne pas dire constamment, elle m’est si bien connue que son nom se posera sans effort. Le droit m'en est acquis, essayez de dire le contraire seulement... Acquis, je le sais mais, puisque réponse à vos lettres de patience à lire mon Tilleul, il me semble juste que votre accord se pose, là. Je l’imagine seulement, pourtant, et le prends comme tel. L’accord.

Et, cher lecteur putatif, il me semble au contraire de vos affirmations brumeuses étalant encore quelques fumerolles de dépit, que la muse agissait déjà en vous comme vous tentiez de le faire en caressant ma plume dans le sens poétique. Vous avez été visité mais, n'avez pas encore abandonné vos limites pour vous ouvrir pleinement à son intrusion.
Vous vouliez écrire et vous attendiez de lire, c’est bien là l’ordre à suivre. Si vous prenez grand cas de tout lire, surtout, tout du commencement poétique à l’actuelle quête des révoltés de nos réalités temporelles. Il y a tant de poètes sur et sous terre, prenez le temps, il en restera assez pour écrire. Ne vous prenez pas la tête, ni le cheveu, rien n’est simple tant qu’on ne tente pas l’aplat, et tout se complique à l’œuvre…

Nous voilà bien partis sur des désordres capillaires et plumiers ! Alors que la Muse se passe de tout sauf de l'addiction du poète. En cela elle fait naître le poète de son ivresse même.
La pensée serait venue, les mots ont, semble-t-il, d'ores et déjà suivi. Ils cheminent encore... Il ne reste que l'acte à consumer ;  - mais, l'encre se fume-t-elle ? Un manque ce soir me fait prendre le quai des allusions. Cela est sot, j'en conviens et en demande indulgence-. Consumer dis-je, que dis-je, consommer serait de justesse mieux empreint. Lire, et s’enivrer. De poésie, nous affirmait le poète en son verbe éthéré, ou de toute autre chose clamait-il encore.

Me voilà perdue dans vos méandres. Où guidiez-vous le propos quand vous parliez de force divine - ma non majuscule n'étant pas discriminatoire et irrespectueuse, elle est minuscule généralisant - pour aller toucher le sublimissime ? Du doigt ou de l'idée, d'ailleurs ? Par quel bout se touche-t-il ?

Il me vient aussi une crainte : à vous voir insérer vos mots dans une prise de risque poétique, je vous en supplie, ne perdez surtout pas votre langage géographique, mes amis m'en tiendraient rigueur et m'arracheraient la langue pour venger leur frère. Mais, savez-vous ce que l'on dit de la langue ? Si elle ne peut dire, il lui reste d'écrire de la pointe et de croiser son eau... Enfin, ce qu'on dit, n'est-ce pas, n'est qu'un bruit courant et ne veut, finalement, pas décrypter l'intention.

Souvenez-vous, un jour je vous avais invité (il y a tant de temps de cela) à venir rejoindre un cercle d’amis, vous m’aviez rappelez m’avoir invitée également et qu'immédiatement je vous avais posé un refus net. Prétextant votre nom affiché me semblant fort bidon… et le jeu sur le mot est venu de vous, m’accusant de bétonner mon jardin amical ! Pourtant il n’y avait de béton que ma porte - pas si lourde à pousser que vous le suggériez .
Avec l'eau de votre bidon et mon mur de béton, voilà bien une construction qui ne pouvait que tenir debout et ferme ! Rappelez-vous !
Puis ici, vous avais-je dit, dans cet étrange pays de France, on trouve également des bidons, tout est bidon si on écoute bien, ou presque, et encore plus bidon et bétonné que votre et mon mur réunis. Vos reproches virèrent alors à l’humour, et au voyage étrange en pays de Galles que vous désiriez vous être conté, affirmant que vous danseriez alors sur un ré qui me fit songer à l’île sans rapport avec votre propos. Vous fabuliez et j’entrepris de vous suivre en ce genre. Hélas, n'ayant jamais mis un ongle en Galles, ni de pied ni de main, ce n'était donc pas moi qui vous les aurais contés, ce pays et ses légendes, et l'hiver n'étant pas loin, le ré aurait pu givrer dans la fontaine, si claire soit-elle, à moins que ! D’un soleil nouveau s'éclairerait la fable se défabulant, d'elle-même, ou pas. Je doutais, croyais vous reconnaître puis, non. Vous vous êtes mis ensuite à compter, plus de conte, que des gales, et tant, six ! Pourquoi six gales, et les notes s’en suivant ? Mais tant de gales... Dieu que de notes aurait-il fallu pour les chasser, à en donner l'hiver plus doux et chaud que la ronde et son point d'orgue. Soleil, de toutes les façons, sembliez-vous dire. Soleil, essentiel, vous répondais-je, perplexe.

A cet instant, je me suis mise à vous semi-tutoyer, l’envolée fabuleuse portant toujours mon mot. S’il fut possible que je me sois égarée, ou pour autre raison, à ta/votre convenance, je vous intimais de m'envoyer bouler avec la truelle de ton/votre choix. De Fontaine en métaphores, je ne savais pas mais, ce porteur de bidon me semblait si familier…

En réaction, égarant Baudelaire dans vos remises, vous avez jeté l’étrange rêve verlainien à la face de mon clavier, et ce n’est que moi qui m’étrangeais encore entre vos mystères. Je n’avais plus qu’à rester sur le vouvoiement qui me faisait tutoyer de drôles d’étoiles en nuages saturniens.

J'avais rêvé, peut-être mais, il y avait quelqu'un que j'avouais aimer et comprendre avant que le silence ne tomba comme les plus lourdes neiges des steppes infernales et ne scella ma bouche à votre jamais. Rêvé, peut-être... Mais... qui pouvait répondre en un poème, si ce n'était lui... lui, toi, vous. Était-ce truelle, ou était-ce, là, révélation.

Si ce ne fut toi, c'était donc votre frère, et je n’étais et ne suis toujours pas louve à mourir de faim, je ne vous aurais donc point emporté pour vous dévorer, moins encore vous cajoler. Grand mal en aurais-je eu, d'ailleurs, par-delà monts, vallées et mer. Ainsi, je vous avais laissé, ce jour chu, à vos ouvrages et vos bidons, et retournant à mon béton, je vous avais laissé à votre mystère, puisqu’il semblait que ce n'était vous mon toi.

Mais... familier ! Je l'avais dit. Cette voix-là ne s'était et ne s’est toujours pas tue. Brume. Pluie. Qu'elles rafraîchissent celui pour qui était ma voix, et non son frère.

Vous aimez Baudelaire, disiez-vous sous votre masque fleuri, et Verlaine sous la copie mais, aimez-vous Brahms ? Oh, non, c'est une question rebattue ! Laissez donc courir, et le mot et la question. Peut-être étiez-vous deux entités, peut-être pas. Peut-être qu’aujourd’hui s’avèrerait-il qu’il y ait une troisième tête, qu’en saurais-je ? Pardonnez mon tissage et mon tressage, les histoires ne sont qu’histoires, les rêves seulement rêves,  les alpagues ne sont que furtives, et l’occasion bien belle d’écrire une tranche de suppositions en forme de lettre, à vous, demandeur de poésie du voyage.

Qui êtes-vous, Monsieur, à vouloir tant me lire ? Las, encore, revenant à mon arbre et ma source d’exil en ma propre terre de naissance, profilant ce producteur tisanier en d’autres tasses que mes « bleus » de Russie, j'espère que vous y trouverez l'expression poétique de nos terres croisées et du voyage.

Bien à vous, poétiquement.

© Marie Hurtrel
23 mai 2012