Etrange étrangère

NocturneCe n’est pas le sol qui fait la langue, et la neige oublie trop souvent de crisser. Faut-il que le bruit des convenances soit si fort pour faire naître l’étrange étrangère dans l’herbe sauvage semée à son propre pied.

Que se passe-t-il à l’autre bout du monde pour que l’exil infiltre le sol de la naissance… sans nom, que je hais les points d’interrogation. Au secours de la suspension se collent les points du possible impossible, la secousse du constat : le monde n’est pas si rond qu’on croit.

Un jour, on apprend une langue, une parole, celle du sol et du lien, pour que les premiers mots soient aux couleurs de l’héritage affranchi [i]. Parler, parler et se taire. Un jour, un autre, on prend une plume et les mots composent le brouillard dont on s’accuse. C’est en apprenant le français que s’est mis en racine mon exil.

A chaque dire l’in-dire qui tue. Et l’on impose sellette pour extraire l’abdication du verbe que l’on n’a jamais connu.

Au long cours, la robe d’exil prise en sa propre maison.

La matrice a scellé l’absurde en roses des sables au fond de la tourbe brennouse. Il y a un étang au bord des inconsidérations sanguinaires[ii] où résiste le roseau d’obéissance, la tête dans les nuages.

Le bois tourmenté des glycines baptismales supporte plus de fleurs tropicales que d’abeilles domestiques. Mon miel est une goutte d’étrange, une sueur d’attente expatriée au pays du normal, c’est le sang du partage qui coagule sur le front intransigeant des frontières terrestres.  J’ai trouvé ma maison adultère, le nid qui brise la terre dont je suis issue. Le nid au ban des colles boueuses de la culture inoculée. Ce n’est pas la vie qui naît dans les langes traditionnels, c’est la mort anticipée des croyances humaines. La promesse d’un ciel au fond du cimetière rituel.

J’ai trouvé ma maison. Elle n’a pas de pierres, pas de toit, elle a le sens de l’in-sens sanguinaire (cf i) et l’arrogance des racines de palétuviers. Elle a le souffle chaud des déserts sahariens, un jardin qui pense une oasis troublée. Démembrée.

Au socle du tabou s’écrit la blessure qui saigne sur les sarcasmes généalogiques du devoir.
Il ne faudrait aimer que l’ordre des choses, puisque la nature plie aux nécessités des jardiniers. Incohérence.

Les greffes jardinières tordent les fruits dans la logique de l’âme alimentaire, quand on veut prendre à la terre ce qu’elle n’a pas à donner, et l’humain glorifie de filer doux sous la rigidité de l’in-rêve, pour qu’il s’impose le discours végétal et racine en son bourbier. On impose la greffe potagère et brise les ailes des oiseaux. Délitescence.

L’humain à la plante libre devrait-il écrire l’esclavage des pommiers… et le coquelicot n’aimerait pas la fleur d’oranger. On croise l’in-croisable, on veut écrire une dé-gène agricole. Alors qu’on invente des logiques spirituelles pour que vive la prison de la liberté de l’Homme dans son essence hors-sol. Ce qui ne s’attache pas s’attache, ce qui s’attache est détaché. Prétention.

L’humain n’est ni dieu ni diable et veut l’être, l’un et l’autre, il se fait diable en voulant être dieu. En écrivant lui-même les contraintes, il croit écrire aussi sa liberté alors qu’il tue. Lui et sa liberté. Il se prend pour un tomatier à la persistance d’un chêne, il n’est que brume inconstante cherchant le lac où s’accrocher. Pourquoi oublie-t-il que les chaînes sont la crécelle des fantômes…

© Marie Hurtrel


i : Affranchi : au sens postal, frais de port.
ii :  Sanguinaires : pour « héréditaires », selon une expression entendue au Cameroun, et non dans le sens du langage, tenant cependant en compte la cruauté du hasard et la croix humaine de la naissance. Les images se croisent, de l’expression à la définition.