Garder la tête froide

Garder la tête froide - 6 Mai 2007

- De la question des facilitateurs en Russie.

Étant donné la forte part d'affectif dans l'adoption d'un enfant, c'est la porte ouverte pour des facilitateurs peu scrupuleux qui ne cherchent qu'à se faire un maximum d'argent.

Dans l'idée de permettre aux adoptants en démarches individuelles en Russie de choisir s'ils se feront accompagner et dans ce cas qui les accompagnera sur place, se pose la question de l'alignement des facilitateurs sur les tarifs des OAA (Organismes agréés pour l'adoption) par lequel ils justifient leur rémunération.

En admettant ce raisonnement il faudrait que les facilitateurs aient la connaissance des coûts réels des OAA pour comparer et faire correspondre ces coûts à leurs différents postes de fonctionnement, il faudrait donc également savoir quels sont les coûts qui peuvent être assimilés à ceux des OAA.

Pour cela il serait nécessaire que les OAA calculent les frais réels qu'engendre une adoption en faisant un détail de la répartition des frais et que le résultat soit transmis.

Or le résultat de tels calculs risquerait d'être mal interprété car l'infrastructure des OAA coûte très cher, le travail des bénévoles n'est pas pris en compte et s'ajoutent tous les frais que la famille également peut avoir pour la traduction, la facilitation, les transports à l'intérieur du pays, etc. Un calcul des coûts réels des OAA ne pourrait donc être pris comme référence car ça ne représente pas le vrai coût d'une adoption.

Actuellement, en 2007, il y a deux solutions pour adopter en Russie, soit par un OAA soit en démarche individuelle, et bientôt une troisième avec AFA (Agence française d'adoption). Il y aura donc trois voies pour la France et dans cette configuration à trois il est évident qu'il y aura toujours des adoptants qui, n'étant accompagnés ni par un OAA ni par AFA, seront face à des tarifs non contrôlés de facilitateurs. AFA a vocation à normaliser les pratiques sur place, empêchant les adoptions à plusieurs vitesses liées à des coûts variant avec une grande amplitude.

En Russie, tant que la démarche individuelle est possible, il serait intéressant que les adoptants qui l'entreprennent puissent obtenir une liste des facilitateurs reconnue comme fiable par les Consulats à défaut d'être accréditée.

Même s'il est vrai qu'aujourd'hui les Consulats transmettent une liste des facilitateurs aux adoptants qui la demandent, il faut savoir que tous les facilitateurs ne présentent pas un descriptif des sommes demandées et de leur utilisation. Les adoptants se trouvent alors devant un choix extrêmement difficile et ce n'est qu'une fois le dossier confié qu'ils découvrent très souvent que d'autres frais dus à certains services complémentaires s'ajoutent à la rémunération du travail de facilitation, de traduction et interprétariat.

Il est certain qu'avec sa position d'organisme autorisé dans l'adoption, AFA pourra normaliser les tarifs des facilitateurs en acceptant de faire travailler seulement ceux qui pourront présenter un descriptif clair, précis et en toute transparence des sommes qu'ils demandent.

Quand d'autres voies sont impossibles, quelle qu'en soit la raison, le choix du facilitateur en Russie imposé par la démarche individuelle engagée, selon les services que ce facilitateur peut rendre, se présente alors que les postulants à l'adoption sont par définition dans l'affectif.

Bien souvent ils se trouvent acculés à prendre le premier, voire le seul, facilitateur qui accepte de les accompagner et ce ne sera pas forcément celui qui affichera clairement les détails de ses tarifs.

Parce que les gens sont en désir d'enfant, que certains même sont en souffrance, l'agrément obtenu parfois après des années de tentatives infructueuses de donner la vie peut apparaître trompeusement comme un droit à un enfant.

Nous savons tous que partout il y a beaucoup de gens d'une grande honnêteté, en Russie comme ailleurs, mais nous devons rester conscients que, quel que soit le pays, il existe hélas aussi des gens qui veulent utiliser la sensibilité de personnes telles que les adoptants et jouer sur un affectif exacerbé pour en recueillir des avantages financiers.

L'un des intérêts de passer par AFA pour adopter un enfant pourrait être, et serait certainement, donc la possibilité de se préserver de certaines dérives.
De plus n'ayant, de prime abord, pas de critères de sélection AFA devrait accepter tous les postulants à l'adoption qui le désirent.)

- Du respect de son projet d'adoption face à la réalité de l'adoption internationale.

Ceci dit, le fait qu'AFA ne demande pas un profil particulier aux postulants a une conséquence difficile à gérer voire à admettre quand on détient un agrément qui fait penser que la procédure aboutira forcément avant l'échéance des 5 ans de ce document.

AFA ne transmettant que le nombre de dossiers permis par chaque pays, et selon les critères de choix également si le pays en impose pour les adoptants, beaucoup devront attendre s'ils ne peuvent ou ne veulent pas envisager un autre pays où postuler pour déposer un dossier de demande d'adoption.

Chaque projet est particulier et l'espoir d'adopter un enfant à particularité n'est pas celui de tous, évidemment.

Il est vrai que les demandes d'adoption pour un enfant jeune sont les plus nombreuses mais, l'image réelle des enfants adoptables dans les pays ouverts à l'adoption internationale n'est généralement pas celle de bébés de moins de 2 ans et en bonne santé.

Bien sûr il y a le Vietnam, refusant aujourd'hui les démarches individuelles et imposant un quota de dossiers, qui proposait souvent à l'adoption internationale des enfants très jeunes. Seulement les profils des enfants qui pourraient être proposés quant à des particularités précises sont sûrement difficilement prévisibles, et il est peu probable qu'AFA à l'heure actuelle tienne compte, par exemple, de l'âge demandé pour l'enfant. Ceci dit, la demande des postulants à l'adoption s'oriente en majorité vers des enfants petits et sans particularités. Beaucoup devront alors soit attendre l'acceptation par le Vietnam de nouveaux dossiers soit postuler à l'adoption d'un enfant dans un autre pays.

Le temps de la procédure qui mènera à l'agrément permet normalement de s'informer entre autre sur la réalité des enfants adoptables dans le monde.

Il est dommage au demeurant de croire que l'agrément permettra à coup sûr d'adopter l'enfant au profil défini dans le projet lors des entretiens avec les travailleurs sociaux.

N'oublions pas qu'adapter son projet selon la réalité des enfants adoptables dans le monde génère un risque énorme que la "greffe" ne prenne pas, un risque bien supérieur à celui qui existe dans une adoption respectant les désirs profonds et la définition de ce qui peut être assumé par chacun.

Les travailleurs sociaux sont là pour aider à définir un projet en minimisant les risques d'échec après l'adoption et parallèlement faire prendre conscience que le projet ne correspond pas forcément aux profils des enfants adoptables dans les pays. A nous de les entendre pour prendre la mesure des chances que nous avons d'adopter un jour un enfant qui ne sera pas celui adopté faute de mieux.

Mais, bien sûr qu'il y a des projets d'adoption répondant plus à une démarche humanitaire que d'intégration dans une filiation. Cependant, ces projets ne peuvent être initiés par la nécessité ressentie de faire aboutir malgré tout des démarches collant un peu mieux avec la réalité des enfants adoptables.

Chacun se doit alors de mesurer ses capacités à assumer une ou des particularités selon son énergie, ses valeurs, son temps disponible, les enfants déjà présents au foyer, l'éloignement géographique de certaines infrastructures médicales, la capacité des établissements scolaires quant à la prise en compte de la particularité d'enfants très grands qui ne peuvent pas être uniquement définis comme primo-arrivants, etc.

La mesure de nos impossibilités à assumer un enfant à particularité ne doit pas faire oublier qu'adopter un enfant très petit, un bébé, met en face d'une histoire qui peut être très lourde, même à un mois un enfant a déjà vécu beaucoup de choses. Considérant cela et comprenant que le très jeune âge de l'enfant ne protège pas des risques que la greffe ne prenne pas, il est possible de faire évoluer son projet vers un enfant un peu plus grand et correspondant davantage à l'image réelle des enfants adoptables dans le monde.

L'agrément nous définit comme aptes à accueillir un enfant, mais il n'implique pas que nous l'accueillerons à coup sûr.

La définition de notre projet, ne préservant pas complètement des risques d'échec post-adoption mais les minimisant, doit être mise en face de la réalité de l'adoption internationale et il n'y a pas à se poser en victimes de critères de choix alors justifiés des OAA, ou en victimes des choix d'AFA quant à la façon de retenir un nombre de dossiers pour répondre aux exigences d'un pays.

Les pays ratifiant la Convention de La Haye et dont le sort social et financier s'améliore, développent l'adoption nationale dans l'intérêt de l'enfant qui reste le premier sinon le seul à considérer, mais ils doivent mettre en place des procédures administratives lourdes ce qui peut prendre beaucoup de temps et d'argent.
Les réseaux maffieux d'intermédiaires qui pouvaient exister ne peuvent plus fonctionner dans ces pays pour qu'ils ne quittent pas la Convention de la Haye.
Il est normal alors que le nombre d'adoptions internationales diminue.

Les démarcheurs individuels ne pouvant plus déposer de dossiers dans ces pays n'auront d'autres choix qu'AFA pour espérer y adopter en se gardant toutefois de croire qu'un "droit" à l'enfant sera respecté malgré ou contre les décisions des pays d'adoption.


- Aucun "droit à l'enfant" n'existe, l'agrément n'en a pas valeur.

Si AFA peut prendre tous les démarcheurs individuels s'orientant vers les pays où elle est accréditée, rien ne garantit que les pays proposent le nombre d'enfants selon leurs profils correspondant à la demande, de même les Conseils Généraux délivrent des agréments sur la base d'une aptitude des postulants à l'adoption mais ne garantit pas de ce que voudront faire les pays de ce "certificat".

Même s'ils le voulaient rien ne garantit que les pays puissent satisfaire toutes les demandes et proposer tous les enfants qui auraient pourtant réellement besoin d'une famille, comme, par exemple, en Inde où le nombre des enfants des rues ayant ou pas une famille est de l'ordre de 12 millions voire davantage mais dont la plupart sont sans état civil et donc inadoptables.

De là à dire que les agréments sont trop nombreux il n'y a qu'un pas.
Mais considérant que les travailleurs sociaux n'ont pas vocation à faire croire à un "droit à l'enfant", croyons qu'ils s'attachent au contraire à faire prendre conscience de la valeur réelle de l'agrément, il n'y a pas de raison d'imaginer (et espérons !) que le nombre annuel des agréments doive être réduit pour éviter les déceptions, ça ne ferait que déplacer le sentiment d'injustice en amont.

Voilà une chose difficile à gérer, l'espoir constitué par l'agrément peut ne rester qu'un espoir, bien légitime certes, mais peut-être jamais comblé.

Marie Hurtrel
2007

Adoption réflexions 2007