Préface, un Tilleul au Cameroun

Préface
L’en-aller de Marie Hurtrel
 par Fernando d’Almeida

Chaque fois que la poésie prend le large pour parler de ce qui vocalise le paysage de l’être, il nous faut retrouver en elle, le fond diurne d’une vie ouverte aux inductions, aux injonctions de l’ailleurs. Le regard qui saisit les instantanés des choses descellées est un regard rameutant objets et destinées, dans la prolifération des signes du désir par lesquels se met en procès ce désir qui résonne au sein d’un langage que transfigurent toutes données érodées par le cliquetis des mots et des métaphores.

Un tilleul au Cameroun, de Marie HurtrelDiffractant les tropismes des lieux divers que la poésie litanise, symphonise, l’œuvre découlant du regard dicte le rut des objets en nous conduisant vers des réalités médianes d’un monde mordu par la complexification de la vie.

La poésie de Marie Hurtrel est une mise en discours lyrique d’une vie dont les hauteurs variables indiquent la combinatoire des virtualités accomplies. Cette poésie donne lieu à une géographie qui trouve son point d’orgue au Cameroun devenu terre d’accueil provisoire d’une écrivaine française à la recherche d’autres marges de vie agrémentées d’observations, de visions qui nous font entrer dans la socialité d’un pays présidant à ses propres foyers politiques et économiques.

Connue pour son inclination intelligente, pour son dévouement aux cultures exogènes qui s’éloignent de tout grégarisme, Marie Hurtrel, par une extrême attention au Cameroun qu’elle découvre fascinant, fait perdurer la beauté de ce pays qui est un condensé de l’Afrique, dans ses poèmes irradiant une matière verbale portant à verse des paysages humains, avec cette grâce propre aux poètes de juste compagnonnage.

Marie Hurtrel. A mesure qu’elle écrit pour regarder le monde s’incurver à l’horizon d’un lieu équatorial de l’être, elle rallume en chacun de nous, l’étonnement.
Elle chantourne, contourne la réalité - nous sommes en poésie - parce que toute poésie majeure est toujours solécisme, solipsisme de ce qui est. De ce qui culmine dans la substitution. La transmutation. Marie Hurtrel déboîte ce qu’elle voit car débridée, sa fiction s’éclaire à l’orient de l’instant. D’un instant qui fait valser tout objet élu avec cette aspiration à la métamorphose, à l’avènement d’une connivence profonde entre l’écrivaine et une terre qui lui offre la possibilité de multiplier ses points de vue par rapport aux flux de ses engagements quotidiens.

Ainsi compris, l’ailleurs sert de bréviaire à cette poésie incarnée dans la proximité du menu peuple.
A  l’attelage des fragmentations rendant fuyante la combustion des choses concentriques, Hurtrel retrace comme en détail ce qui est vu, dévoilé. Ce qui est le produit de «l’œil» en tant qu’organe de dépassement des choses figées.

Par son côté essentiellement pédestre, la poésie de Marie Hurtrel entend découvrir ce qui fait la substance de l’humanité camerounaise. Epreuve salvatrice, la vie de l’en-aller fait avancer l’être dans la connaissance baroque parce que conséquente des diversités d’un pays réel. La relation à ce pays acquiert par la randonnée des syllabes et des consonnes, une poussée en spirale faite de rencontres multiples.

Prendre terre, c’est aménager pour soi d’autres traces, c’est méditer l’énigme d’un monde, en partant des impasses du toujours-là, de la sémiologie du déjà-là, de la toponymie de l’ainsi. De ce qui donne sens et ravissement à la vie courante.

Pensé et vécu comme un enrichissement, une accumulation de névroses favorisant la co-naturalité de l’homme et du monde, le voyage rend fécond l’ouvert. Il rend possible cette spiritualisation d’une nouvelle vie nourrissant en secret l’être qui s’y meut en lui permettant de prendre en écharpe de nouvelles incidences, de nouvelles structurations complexes des choses et des destinées !

Tel que se formule l’en-aller de Marie Hurtrel, on en vient à comprendre que pour elle, voyager, c’est penser et vivre le divers en permettant à chaque mutant, de se situer autrement dans la contingence.

L’aporie de l’en-aller est dictée par la conscience de la merveille. Elle compose avec l’instant. Elle relève de la narration de l’instant.

Le désir d’être ailleurs s’appuie sur un motif auroral, matutinal car pour Marie Hurtrel, l’«aube dessine la route». Le trajet de soi à l’ailleurs se veut irruptif. L’ailleurs est un fondement itérable de signes délogés de l’aval. Il prône une re-création de l’ainsi, dans une dynamique projective de la vie. De nouvelles configurations symboliques vont donc issir de l’anamnèse d’un lieu qui est toujours le lieu paradoxal d’un cheminement de soi à l’intersection des paysages situés aux croisées des réalités tangibles.

La nouvelle terre perçue est en latérite. Elle est « rouge ». En s’y racinant, Marie Hurtrel avance en décomposant ce qu’elle voit. Elle déboulonne chaque chose vue en réinventant autrement ce qui vient à elle.
Il y a, dans cette poésie, une traversée de soi conduisant vers une renaissance dont la trame de déambulation donne l’assurance d’une mutation ontologique, dans un environnement physique et social aimanté par l’ivresse du soleil.

Ayant volontairement tourné le dos à l’hiver pour faire écho à d’autres saisons caractérisant d’autres phénoménologies, Marie Hurtrel apprécie la conformité de sa nouvelle vie avec les apories du temps saisonnier faisant vérité maintenant.

Il fallait impérativement que l’écrivaine parte. Qu’elle s’en aille border d’autres regards, en se remettant à d’autres mises en chantier d’un moi débarrassé des rationalités irréductibles aux prismes d’une pensée de l’ascendance. L’effacement de toute personnalité de devanture, loin d’être un lapsus, devrait servir d’équinoxe à une vie sans césure. Une vie de mutualisation originaire.

Il y a chez Marie Hurtrel quelque chose d’involuté qui lui donne le privilège constant de comprendre l’autre comme lui-même. Déposant sa propre ipséité dans l’encrier de la différence convenue, elle « re-figure » le nouveau pays comme correspondant à ce qui vitalise en donnant lieu à l’aporicité du positif. Ce qui revient à souligner que cette poésie nous remue en plusieurs strates d’existentialité. Elle orchestre une reconnaissance de l’autre en prenant sur elle d’assumer l’initiative prise de  s’avouer heureuse au sein d’une communauté d’êtres affiliés aux inflations de la vie vivante.

Marie Hurtrel écrit joliment, bellement. Son lyrisme invite à la présence d’un être qui sait mettre l’accent sur l’entour. Elle écrit en laissant place à la construction du simple, en faisant sursauter, virevolter l’essentiel d’une vie d’errance.

L’expérience du langage entraîne à des rebondissements. En baladant son regard sur

Un monde où les pierres roulent au
fond des rivières
où les cascades d’eau claire chantent
dans les yeux

Marie Hurtrel s’inscrit de plain-pied dans une réalité anamorphosée au creux d’une langue empathique alliant le tendre, le fortuit et le complexe.

Une poésie disponible à l’ordre de l’amour, de la spiritualité tellurique, permet à l’écrivaine de voir clair autour d’elle en approchant les objets,  dans l’illumination première.
 
L’énonciation de ces poèmes suppose redéfinir la vérité du tout. Elle préface et postface une réalité dessinant ses raies, en puisant son argument dans l’unité d’un lieu saisi depuis les tourbillons des villes explorées à l’intérieur d’un langage entièrement requis à l’enchantement.

Cette poésie a de la trempe. Du gabarit. Elle donne mélange à la vie et à la mort. Dans ce foisonnement de signes où la poésie crée ses propres antinomies, Marie Hurtrel laisse parfois entrer des anecdotes en portant plus avant les georgiques camerounaises, à l’enseigne d’une épiphanie du quotidien.

A bon droit, il faut lire cette poésie qui s’écrit en façonnant l’écume du vécu. D’un vécu en selle sur les lieux communs, humains  de l’existence. Une existence qui se cherche en des paradigmes nourris de furtives images, de trouvailles bienvenues.

Depuis une extériorité avenante, Marie Hurtrel interroge le Cameroun comme pour élucider le lieu d’une approbation enthousiaste. D’une éthique du quotidien. En cohérence avec ce lieu, l’écriture de Hurtrel met en fiction un corps social. Elle se plie, elle plie le verbe à des élans d’ambivalence saisissante qui visent à purger l’homme d’un impensé en dérive. En délire.

Marie Hurtrel, écrivant, légalise le cosmopolitisme. Elle sénatise l’intériorité de l’extériorité et nous sommes heureux depuis l’équatorial quai de cette introduction, de relever la part belle d’une poésie donnant suzeraineté au regard.


Fernando d’Almeida
Université de Douala
18 Décembre 2011