Entretien 1 avec d'Almeida
Fernando d’Almeida : Je voudrais que vous fassiez corps avec les mots du poème. Mais j’ignore d’où vous venez, qui vous êtes !
Marie Hurtrel : De la Brenne, une région française dite « aux mille étangs » et riche de légendes. Je suis une terrienne, de la terre qui colle aux mains quand on la retourne, celle des labours, celle de mes grands-parents dans ce Berry natal, mais aussi celle des racines aériennes des palétuviers bousculées par les marées de la révolte humaine. Cependant je n'ai d'autres pays que la nécessité d'aller marcher sur le destin à la rencontre des autres et de l'humain en Nous.
F. d’A. : Vous êtes européenne, vous êtes française. La langue française est votre langue maternelle. Comment est-elle parlée aujourd’hui, chez vous ?
M.H. : Elle se colore et décolore, je la vois comme une peinture académique revisitée et entée, le scion riche et promettant les meilleurs fruits s’avère, à mon sens, le tronc d’un rosier sauvage aux mille fleurs. La langue française offrant la rue et la scène comme un croisement de fils désordonné qui trouve malgré tout le sens du tissage.
Cependant, j’ai de la peine quand elle se brise au fond des perfusions outrancières d’anglicismes et/ou est élaguée de tout ce qui fait sa structure et sa beauté, sous argument de simplicité populaire. Mais je crois qu’elle a une trop belle voix pour se perdre.
F. d’A. : Quels sont vos rapports avec le divin ?
M.H. : Tant qu’il ne s’enferme pas de lois. Je n’aime pas poser de nom humain sur ce qui est supposé nous dépasser, pas de Dieu dans l’image qu’on nous livre mais je peux croire au divin dénué de lois, je veux dire protégé contre les dogmes et intérêts humains. Il n’y aurait sans doute pas de vie sans divin, car nous ne créons rien, tout est là déjà dans la part divine en chacun de nous, dans nos communications inconscientes, nos prières à l’intime de l’Univers. Je dirais « ni Dieu ni maître » autre que la communion à la vie, dans ce qu’elle engendre de liberté et suppose de respect de l’autre. Vaste toile dans le « je suis vous et vous êtes moi », il n’y a qu’un sang, celui de la Terre sublimé dans l’Univers.
F. d’A. : Vous est-il jamais arrivé d’essayer de comprendre ce qui anime d’autres peuples ayant d’autres croyances différentes de votre croyance à vous ?
M.H. : Bien sûr, j’essaie de comprendre, et, pour ça, de détacher tout ce qui nourrit la foi, quelle que soit sa texture, des façons de lui donner corps terrestre par les rites et les cultes. Il n’y a pas de frontières dans les croyances, il me semble que seulement nos craintes diffèrent. La conviction se passe de langage et pourtant elle crée son langage par le besoin de matérialiser, j’aime à savoir ce qui la mène et l’amène comme il serait de connaître où prend source la « magie » des mains d’un sculpteur. La croyance est une œuvre de terre pour dire le divin.
F. d’A. : Est-ce qu’il est vraiment nécessaire d’aller dans une église pour prier,
M.H. : Non. Pas à mon sens, puisque j’extrais le divin des inventions humaines, c'est-à-dire des religions qui le formatent, mais je comprends qu’on ait besoin d’un lieu détaché du brouhaha quotidien pour cela, ou d’un lieu cohérent. C’est une question de nature et de situation de la foi.
Il me semble que la prière doit faire partie du quotidien dans le temps et la géographie en tant qu’admission de l’énergie salvatrice de l’Univers.
F. d’A. : Je vais vous posez brutalement la question que voici : comment se présente à vous, le commencement d’une existence par vous-même voulue, espérée, poursuivie ? Autrement dit, quel sentiment nourrissez-vous à l’égard de la vie : celle que vous vous donnez à vous-même ?
M.H. : La vie n’est-elle pas ce possible impossible, ou plutôt ce probable en épure que nous devons-devrions (re) travailler et tenter d’en pétrir la projection pour lui donner consistance ? Je ne sais pas vraiment, mais je crois que la vie est un souffle à suivre autant qu’à induire. Un don peut-être, un matériel à explorer et usiner avec nos médiums surgis de la vie elle-même. J’ai le sentiment d’avoir toujours à construire, passée par un néant un temps, pour apprendre maintenant comment tenter de naître.
F. d’A. : Au fond, je venais à vous pour que nous parlions de poésie. Comment êtes-vous devenue une écrivaine qui parle singulièrement en poète ?
M.H. : Je n’ai pas de souvenir d’un début d’écriture, j’ai arpenté l’écrit comme une langue à part, mais pour ce qui est de ma façon de poser les mots et de les tisser, c’est une sorte de recherche du dire au fond des choses. La langue du parler croisant celle du désir d’arracher une vérité à l’obscur par la fouille incessante du mot, du verbe. Lever un voile sur les questionnements en couvrant paradoxalement par celui du mystère. Parce que pour moi la poésie est un mystère, un chant composé sur une partition dont les portées musicales ont plus que cinq lignes et dont la clef nommant les notes serait une mutation et un brassage de toutes. « La musique avant toute chose » parce qu’elle se présente à moi comme la plus claire des langues et la plus précise pour sonder l’invisible et l’indicible et oser en donner une version dans la phrase, le vers. Le sens vient par la musique, et elle vient au sens, et aussi bien dans une abstraction cacophonique que dans l’expression d’une mélodie rythmée. Je n’écris pas, je chante.
F. d’A. : Faut-il un état favorable à la poésie ? Naît-on poète ou le devient-on graduellement ?
M.H. Je l’ignore ! Mais je sais que la poésie vient à moi souvent dans l’inattendu, cela peut être dans un sentiment de vide présageant du déferlement de la muse, comme le silence avant la tempête, mais aussi par la sensation d’être happée, je dirais hameçonnée par la nécessité du dire en poésie et de suivre des questionnements entraînant à d’autres questionnements.