Genèse de Toi, tais-toi !

Anne était assise à côté de moi en attente de l’ouverture de l’enregistrement à l’aéroport de Lyon. Elle dessinait sur un bloc quadrillé, sa main était précise, le trait posé était celui d’une artiste. Je la pensais peintre, elle est sculptrice. Sur ses pages des chevaux prenaient forme. Ma curiosité était relative à son art, mais de paroles en pauses, et quelques rires dans la découverte de deux routes communes (la création et une part de vie près des chevaux), nous avons parlé, beaucoup.

CasablancaC’est là, dans le brouhaha des prochains départs, que tout a commencé.

Elle insinuait que sa main si sûre dans le dessin était revenue à la vie récemment. Son histoire était lourde, passée, libérée, et assumée. Anne m’en a donné des éclats dans son regard plus noir que le jais semblant parcourir une attente.

Elle avait à dire, elle voulait écrire, mais ne savait comment prendre l’histoire qu’il lui fallait poser pour fermer définitivement un livre, son livre.

Songeant… Peut-être pourrais-je prêter ma plume et mon clavier, je lui offris.
Anne est restée de longues minutes les yeux clos, puis elle s’est tournée vers moi et m’a demandé de lire quelques poèmes « pour sentir le son de la voix », et j’ai sorti de mon sac deux recueils. Le silence entre nous s’est installé durant presque une heure ; puis il a fallu nous rapprocher de la zone d’enregistrement.

Dans l’avion nous emmenant à Casablanca, elle lisait encore et jetait parfois son regard sur mes mains. Elle souriait. A la lecture, Anne soupirait doucement, je regardais les nuages par le hublot.

« oui, écrivez mon livre, s’il vous plaît ».

Lors des longues heures d’attente de ma correspondance à Casa, nous avons quitté l’aéroport et sommes allées nous isoler pour parler. Nous avons beaucoup, beaucoup parlé, mais c’est au moment de nous séparer qu’Anne m’a tendu une enveloppe grise, épaisse. « il y a presque tout » m’a-t-elle dit.
Puis, elle est partie prendre une navette vers la ville. J’ai rejoint l’aéroport et mon vol pour Yaoundé.

Quelques mois plus tard, le livre prit consistance. Il eut trois titres vite rejetés, Anne seule pouvait le nommer. Elle choisit son prénom, et « eX » pour celle qu’elle ne sera plus jamais, pour l’anonymat de l’antépénultième lettre de l’alphabet, et pour l’image sordide que l’on pouvait associer.

Deux ans de doutes pour Anne, mais ce livre devait être. Pour elle, pour toutes. Pour l’espoir.

Marie Hurtrel

 


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