Patrick Berta Forgas

PATRICK BERTA FORGAS, La chambre des hommes.
Poésie | 96 pages | mai 2009 | ISBN : 978-2-296-08446-9
Editions l'Harmattan, collection "Poètes des cinq continents"

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Dans La chambre des hommes, le livre de poèmes de Patrick Berta Forgas, démesurément on entre.
Pas la peine de lire à demi, impossible plutôt. Voilà une poésie aérienne qui ne se survole pas. Nous ne pourrions pas. Elle happe et nous ne pourrions la lâcher comme ça.

Et j’ai ouvert cet espace et cheminé ainsi : happée. Tout au long des vers, comme si le paysage paginé, ne m’était pas connu bien sûr, mais résonnait tel que pris d’une âme sous la table d’harmonie qui fait de chaque distance poétique, de style et des couleurs, un tissage unique de la poésie. C’est cela, la Chambre des hommes est la mienne, la vôtre, par cette faculté des mots glissant de l’âme du poète à nos chairs résolues à vivre. « Ce souffrant désir d’être » (p 21)
Contre tout et la fureur des tourments humains.

Patrick Berta Forgas | La chambre des hommesC’est une descente des nuages aux flambeaux calcinant ces nuages même.
Sommes-nous sur terre ? Sommes-nous finalement humains par ces cris et pâmes que douleurs et désirs baignent d’un même chrême ?

Cette écriture de Patrick Berta Forgas, je la pressens automatique. Non ! Pas automatique, mais filtrant de plume mue par un in-contrôle orgasmique de la tenaille des questionnements…

Quels sont ces « Anges sauvages » (à partir de p 7) qui posent leurs regards au frontispice de la chambre-cellule qui fait de nous nos propres geôliers ?
La chair ouverte contre la pierre.

« …/… réveiller est un deuil. » écrit le poète. (p 19)
Mais comment ne pas s’attarder trop longtemps quand la sculpture des mots assemble tout ce qui nous bouscule au fond des veines ?
Lire au risque du réveil, voilà ce qui attend au détour du livre. Cette œuvre. Ces œuvres poétiques arpentées ainsi que peintures et sculptures dans une galerie labyrinthique où pourtant jamais on ne s’égare. Plongez ainsi dans les « voix publiques 2 » (à partir p 41), comme si vous suiviez un mur sans fin de graffitis, la main frôlant la rudesse des frontières et les yeux décidant que l’horizon là, baigné de sang, c’est un Soutine et que rien ne ferait baisser la nécessité du pas. Tenaces sur le trottoir comme bords de monde.
« …/…et les rues deviennent pages…/… » (p 42)
Je ne savais pas où mène le poète, et je le savais. Su de ressentis compris.

On pourrait presque percevoir un son de voix familier et enfantin avec la certitude horrifiée au ventre qu’elle sera fauchée par les lendemains noirs que la vie peut imposer lorsque les hommes décident d’en faire l’incohérence qui justifie leurs armes. Et pourtant c’est un chant en pleine lumière, c’est peut-être ce qui rend l’effet de fragile par le précieux de la voix des anges.
Désarmés.
« Enfants d’argile » (à partir de p 25) sommes-nous déjà sur le tarmac de l’enfer ? Ce goût de poussière qui encombre nos toux avant même de naître, est-il alors ce qui différencie des anges ?

Et puis le jour se lève, encore un, mais d’un saut d’âme comme après un revers d’un désastre annoncé. La préface nous indique un fleuve temporel entre les premiers textes et ce « grand jour » (à partir de p 49), le poète a semé d’autres mots entre les anges et nous, et d’un point et fil il nous livre sans doute l’attache de ses bras grand ouverts face à nous, semblant embrasser l’essence poétique et en brasser les rêves et remous, pétris nous sommes par la tenue cohérente des pages offertes qui arrivent là sur une terre nommée. Une terre qui hurle.
Le revers du revers, vous entendrez les balles claquer la vie. Et l’exil. « …/…Je connais l’alliance qui se ment… » (p 71).
Mais ce n’est pas terminé, la course humaine dans la soif du lire en soi s’enracine bien creux dans notre monde en dérive, car aucun mot n’est vain, de tout le livre, c’est une vie là qui déchirent l’emballage de nos rides amères. On ne maquille plus les comédiens, on les regarde pleurer, le masque chu sous les branches éteintes de l’espoir. Rien n’a changé sous le soleil de nos prétentions malgré « une touche de peur au contour de la terre » (p 80) qui devrait réveiller, et tant pis pour le deuil.

De son « regard …/… appuyé, mais si volatil…/… » (p 86) la poésie de Patrick Berta Forgas parcourt nos ventres, nous y sommes. Et jusqu’à « Livrerie » (p 91) que j’ai coupé au haut son de voix, une autre, de mes graves aigus, pas un instant je ne me suis perdue, pas une fois me suis essoufflée, et de retour en retour, de pages en pages, lues, relues, dites, le sentiment d’essentiel est resté.

© Marie Hurtrel