Mars endormi

Mars endormi

Je me souviens, dans une nuit de douceur, après une autre, j'ai rêvé d'un visage rond comme la lune, pâle, et aux yeux de nues troublant le bleu du ciel. Il flottait au dessus de la rivière en furie.

J'ai dû rêver trois nuits et pas une pour suivre de la source à la mer ce mirage. Ce pouvait être un esprit d'enfant et je voulais lui donner la matière qu'il n'avait pas. Pendant un temps long, si long, de mon rêve, j'ai tenté d'arrêter l'onde puis l'enfant sans corps. Épuisée de me débattre dans les flots et contre leur envie de m'ajouter à leurs victoires. J'ai tendu les mains comme si l'imaginée figure enfantine pouvait m'aider. Je suis retournée sept fois au fond de l'eau.

Ce visage aux reflets de lune n'est pas triste dans mon voyage endormi, mais sans sourire et sans autre mouvement que celui de glisser à la surface d'un cours sans fin reconnue.

Je ne quitte pourtant pas le réel. La marche sur des routes instables insuffle l'équilibre entre hypothétiques lendemains et les moyens de ne pas sortir de la conscience qu'ils deviennent un jour une réalité trompant les espoirs.
C'est tellement simple de croire en éloignant les doutes mais c'est se rendre si fort victime des fagots que d'autres déposent en travers du chemin. C'est tellement tenter de justifier ses propres échecs, quand le refus d'entendre l'évidence est seul responsable des déceptions aux cruautés destructrices.

Je veux fonder mon espoir dans ce qu'il y a de possible. S'il est un lendemain tenu par les hasards, il peut rester suspendu au piton inexploré et inatteignable, mais si par bonheur la voie de la montagne que j'entreprends de gravir me porte si haut que je puisse le toucher, ce lendemain m'appartiendra sans injustice, ni mérite.

Alors j'entame une ascension qui ne présage pas du sommet que j'atteindrai. De retours dans la plaine en attentes que le soleil éclaire le passage, j'explore et tente de combler mes désirs sans aller sur l'objet de mes convoitises comme sur un dû inconditionné. J'ai d'autres chimères pour lesquelles je n'escalade rien, celles pour qui je vole et dont je ne crains pas le feu, mes ailes peuvent m'y emporter en force contre tout.

C'est là sans doute trop garder raison et c'est peut-être trop oublier les rêves qui font avancer, mais c'est ainsi qu'un bonheur devient accessible dans une histoire humaine.

Dans mon écrit que demain semble loin de mon domaine. Il ressemble encore au fouillis du poète cherchant la musique des mots et à la palette chargée du peintre imaginant sa prochaine toile juste après le dessin.
D'un bleu céruléen j'envisage l'aplat où poser, d'alizarine en jaune trempé de vermillon, l'impression des fleurs que je veux sur les rives du long fleuve au delta inaccessible que je découvre en délaissant mon défluent originel.

De l'autre côté de la montagne, je sais un pays où tant de fleurs grandissent qu'un bouquet semble réalisable. Il suffit d'un soupçon de patience et d'une goutte de courage. Mais les petites fleurs des jachères n'attendent pas, ni moi ni d'autres. Quelques uns leur ont dit sans doute qu'une terre lointaine pourrait leur offrir un nouveau terreau plus riche, plus tendre. Mais ces promesses de meilleur n'ont de sens à ces fleurs fragiles déjà arrachées à une première terre, celle où elles ont puisé leur essence.

Il y a tant à donner aux petites fleurs de là-bas mais elles n'attendent rien. Comment savoir qu'ailleurs l'herbe est plus verte quand on est une pousse de misère qui a goûté plusieurs fois à l'eau saumâtre en guise de pluie, comment le croire.

© M.H.